Image mentale

                 


 

Anaïs, petite fille très souriante, sociale et assez émotive, vient en service de rééducation à plein temps en hospitalisation de jour. A la suite d'une naissance trigémellaire, elle est atteinte d'une paralysie cérébrale (PC).

Son hospitalisation à l'HSM (Hôpitaux de Saint Maurice)  intervient entre huit et dix ans.

Avant cette période Anaïs était scolarisée dans la même école que ses deux sœurs jumelles et suivait sa rééducation en SESSAD.

 

Sa venue à l'hôpital est justifiée par le projet d'une intervention chirurgicale au membre inférieur. 

 

 


                    Anaïs quelques années plus tard

A son arrivée, Anaïs présentait une dilpégie spastique et se déplaçait en déambulateur.

 

On observait également un très léger tremblement au membre supérieur droit et une dyspraxie.

 

La prescription d'ergothérapie concernait principalement l'apprentissage et l'utilisation de l'ordinateur, Anaïs étant scolarisée au sein de l'hôpital dans une classe adaptée.


 

En faisant connaissance, je comprends rapidement qu'un autre problème entrave Anaïs dans son développement et ses apprentissages : elle est complètement perdue dans le temps.

Elle ne sait pas quel jour de la semaine on est. Elle ne se situe pas entre le matin ou l'après midi.

On la sent dans une grande angoisse  quand elle arrête les adultes dans le couloir :

 

" Je fais quoi maintenant " ?

                 " Tu me prends en ergo " ?

                                                      " Je vais où " ?

 

Après avoir écarté tout problème d'orientation dans l'espace, d'oubli "au fur et à mesure" quelques tests ont montré qu'Anaïs avait, néanmoins, une certaine notion du temps .


 

L'image mentale  nous a sauvé !

 

Au cours d'une séance d'ergothérapie, installées chacune d'un côté de la table, je lui demande:

- Peux-tu fermer les yeux et me dire le "LUNDI" c'est comment dans ta tête?

 

" Ben!     C'est un carré "

 

- Oui, et il est où ce carré?

 

" Il est là "


En frappant la main à plat sur la table.

 

 

- Et le "MARDI", il est comment ?

 

" Il est carré aussi "

 

- Il est où?

 

" Là "


En frappant la main à plat sur la table, à droite de l'emplacement précédent.

 

Nous avons poursuivi, Anaïs les yeux toujours fermés et sans que j'intervienne autrement qu'en nommant les jours les uns après les autres dans l'ordre.

 

Je n'ai pas non plus fait de repaires sur la table comme ici pour les besoins de votre compréhension.

 

 

 

Voici comment Anaïs m'a

 

transmis son image

 

mentale de la semaine


 

- Tu peux dessiner tous ces carrés sur une feuille ?

 

 

 

" Oui, bien sur "


Je voulais m'assurer que j'avais compris correctement son message.

 

Le dessin de sa représentation mentale a été redemandé à deux reprises, à Anaïs, 

au cours des deux semaines suivantes.

Il était identique au premier ce qui nous confirmait sa stabilité dans le temps.

 

Fallait-il poursuivre dans cette voie : partir de l'image mentale d'Anaïs et l'aider à construire son propre rapport au temps?

Anaïs avait  un emploi du temps dans son sac mais ne s'en servait pas. Elle ne s'y retrouvait pas, et ne pouvait pas naviguer dedans.

 

C'est en réunion d'équipe pluridisciplinaire (avec toutes les personnes suivant Anaïs) que cela devait être débattu. 

 

Le récit de l'expérience sur " l'image mentale d'une semaine" a été dans l'ensemble bien accueilli.

Le médecin (MPR) était partant pour cette orientation et me donnait son aval pour travailler ce projet avec Anaïs .

 

Parmi tous les éducateurs/rééducateurs ayant en charge Anaîs, une personne présenta son objection:

" son image de la semaine est en contradiction avec le sens de la lecture car à partir du jeudi elle va de droite à gauche. L'utilisation de ce schéma peut perturber l'apprentissage de la lecture"

            Emploi du temps remis à Anaïs dans lequel

elle ne se retrouvait pas.


 

Bien qu'ayant eu le feu vert pour poursuivre le projet, j'avais besoin de preuves me confirmant qu'avoir une représentation mentale très personnalisée d'une semaine n'interférait pas dans les apprentissages de la lecture et de l'écriture.

 

J'avais déjà mon propre exemple, dont l'image mentale de la semaine (ci-contre)  était pire que celle d'Anaïs et allait aussi dans  le sens contraire à celui de la lecture, mais cela ne me suffisait pas.

 Je mis donc en place une mini enquête.

 


 

C'est auprès d'une quinzaine de personnes (des deux sexes) ayant de 10 à 60 ans que ces quatre questions ont été posées. 

Ci-dessous quelques réponses concernant l'image de la semaine... 

 

 


Guilhem 10 ans

Yvette 60 ans

Sylvie 40 ans



 

Méthodologie d'accompagnement

 

La méthodologie d'accompagnement d'Anaïs est maintenant tracée grâce à sa collaboration et à notre expérience de son image mentale.

Elle repose sur trois concepts qu'il est souhaitable d’associer le plus souvent possible :

 

   1- Partir des ressentis personnels d'Anaïs pour l'aider à avancer.

 

   2- S'appuyer sur des représentations visuelles, mentales ou non.

 

   3- La faire participer physiquement dans la conception et l'élaboration de supports pédagogiques

 (en référence à la règle d'or en pédagogie).

 

 

Nouvelle étape : Création d'un emploi du temps personnalisé

 

La réalisation d'un emploi du temps hebdomadaire a été jumelée avec un travail sur les activités et occupations d'une journée en général, pour permettre de donner du sens a "matin" et "après-midi".

 

Cette activité se réalise en suivant la méthodologie annoncée plus haut et ses trois concepts.

 

1- Partir de son vécu.

Anaïs liste ses  activités et ses occupations pendant la semaine,  au sein du service : 

     

* Les séances de rééducation     

* Les activités de groupes      

* les activités sportives

* les temps scolaires 

* Les temps repas...

 

 2- Utiliser une représentation graphique.

 Pour représenter ses activités sur l'emploi du temps Anaïs nous fait une proposition:

 

" On pourrait mettre une photo des personnes qui s'occupent de moi "

 

Nous lui avons fait remarquer que la même personne pouvait l'accompagner dans plusieurs activités. Par exemple la kiné l'accompagne aussi au poney et l'orthophoniste anime le groupe livre. 

Nous pensions qu'elle pouvait, grâce à ses images mentales, aller un peu plus loin dans l'abstraction.

 

" Alors on pourrait mettre des dessins mais je ne sais pas comment... "

 

Nous lui avons donc proposé de chercher des images qui lui "parlent" dans une banque de données de pictogrammes.

(La Cigale. Sur internet. Gratuit)

Ci-contre quelques uns des choix d'Anaîs.

 

3- La faire participer physiquement à la réalisation.

 

Après avoir choisi les pictos (imprimés) Anaïs les a découpés et collés sur la grille de la semaine.

 

Quelques exemples des choix de pictos.


Pour faciliter son utilisation, l'emploi du temps est suspendu au déambulateur par velcros.

A cette époque Anaïs n'étant pas entrée dans la lecture aucun texte n'accompagne les pictos.

Pour faciliter la compréhension des aidants on trouve le texte au dos de "l'emploi du temps pictos"


Avant le collage des pictos, deux grilles différentes de la semaine ont été proposées à Anaïs : 

- La sienne avec le jeudi sous le mercredi et la deuxième ligne se lisant de droite à gauche.

- La deuxième avec le jeudi sous le lundi et la deuxième ligne se lisant de gauche à droite.

Nous lui avons demandé quelle grille elle choisissait. Et après une longue observation des deux images :

 

"Cela m'est égal, ce sont les mêmes"

 

 

 

Travail sur l'organisation d'une journée

 

Comme nous l'avons vu plus haut Anaïs ne se repère pas dans une journée. Elle ne sait pas si c'est le matin ou l'après-midi. Elle n'arrive pas à lister chronologiquement les activités quotidiennes.

Nous utilisons la même méthodologie que précédemment.

 

1- Partir de son vécu.

Anaïs va lister toutes ses occupations du lever au coucher.

 

2- Utiliser une représentation graphique.

Elle va ensuite choisir les pictos pour chaque activité.

 

 


3- La faire participer physiquement à l'activité.

 

L'activité se renouvelle deux à trois fois par semaine, à des jours différents et consiste à mémoriser les activités déjà vécues et celles à vivre, dans l'ordre chronologique d'une journée précise. 

 

Un panneau représentant un jour, c'est à dire une journée plus une nuit, est fixé sur un plan vertical pour qu'elle y accède facilement.

La forme du rond a été choisie en anticipant l'apprentissage de l'heure.

 

Pendant l'accompagnement un travail sur les notions de "avant" "après" est réalisé. 

 

Enfin elle doit essayer de verbaliser l'activité.

 

 

Au fur et à mesure,

Anaïs fixe le picto, correspondant

à l'activité quotidienne.

 

 

 

 

Tous les pictos sont posés en vrac sur la table.

La vision de l'un ou l'autre la canalise dans l'activité et l'aide parfois.

 

 

 


 

 

 

 

 

Ci-joint une séance filmée après quelques semaines de cette activité.


Après environ deux mois Anaïs se repère bien dans son "emploi du temps papier" qu'elle ne quitte pas. Elle en connait par cœur une grande partie d'ailleurs. Les crises d'angoisse, en arrêt dans le couloir, se demandant ou elle devait aller ont disparu.

Anaïs peut maintenant gérer l'organisation temporelle d'une journée, mais combien de jours comporte une semaine? à quoi correspond un mois , une année, le printemps ou l'été sont des notions totalement inaccessibles pour elle.

Ce sera un des objectifs de la prise en charge en ergothérapie : poursuivre cette recherche de compréhension et appropriation des notions de temps.

 

Pour cette nouvelle étape nous ferons appel à une autre méthodologie, "Méthodologie triangulaire" qui sera exposée dans un autre article. 

 

S.Blanc HSM

Symboles:

UA-88233996-1

 Expérience vécue ou destinée aux pays émergents (PE).

Expérience vécue ou destinée aux autres pays.